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Sinon que de chiffre programmable, je me demande comment manipuler des données sans forcément passer par la programmation ?
Car les même données (lettres et nombre qui constitue le code informatique) pourront apparaitre différemment selon les programmes avec lesquels on les ouvre, je compare les fichiers de donnée à des partitions musicales et les programmes à leurs interprètes.
Même si cela peut paraître imperceptible au rendu, les fichiers de données brutes que je m’approprie sont altérés par le processus même de capture vidéo qui les convertit en un nouveau format (penser à ce qu’il reste d’une image si on la compresse 1000 fois en JPEG). Cela pose la question de l’ontologie même de l’image ou du son numérisé.
Je prolonge ce processus d’interprétation en transcodant à mon tour : : expérimentation de techniques databending (corruptions, conversions et compressions de contenus et formats de fichiers de données) afin de trouver des effets d’abstraction visuel et audio de nature purement numérique.

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« Digital compression technologies are used to encode files into fewer bits (or other information-bearing units), to travel faster and further. These compressions reorganize the relations inside and between the data of for instance sounds and images by means of scaling, reordering, and decomposing. Compressions also reorganize the context, time and space of information; basic values on which communication used to depend. »

Extract from Compression art : visualising the obscured, Rosa Menkman.

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En ce moment mon travail prend la forme de vidéos found-footage. Bien que je n’exclus pas d’intégrer des images filmées ou des sons enregistrés par moi même, je travaille surtout à partir de données déjà existantes. Car je m’attache à certains détails, je manipule, recadre ou refilme des images afin d’en proposer une nouvelle lecture.

Mais les gestes auxquels je consacre le plus de temps sont ceux du mixage et du montage (spatial et temporel) de ces données. Les histoires que je compose prennent forme par le rythme d’apparition des images à l’écran.

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Les procédures expérimentales opérées par Maya Deren à son époque tels que que le mouvement inversé (sentiment de renversement du temps), les ralentis exagérés ou l’inversion en négatif des photogrammes, tendaient déjà à nier le concept de réalisme  photographique aujourd’hui plus évident avec le numérique.

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Je travaille à partir de données numériques et tente d’appréhender leur matérialité : je me demande comment les manipuler sans forcément passer par la programmation, cela afin de parvenir à toucher la nature de l’intervalle qui constitue leur mouvement.

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Tout comme les caméras et les pellicules définissaient le film pour le cinéma, des technologies tels que les codecs et formats de compression définissent la matière du flux d’images numérique (et d’Internet).

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Dans la vie quotidienne, tout ce que je vois et qui m’interpelle, je l’enregistre impulsivement. Comme des prises de note. Comme si il fallait que je garde certaines choses pour m’en souvenir. Mais ces données s’accumulent et je ne prend pas le temps de les classer. Elles n’ont parfois rien à voir les unes avec les autres et se retrouve cote à cote dans un dossier. Un jour je décide de jeter un oeil sur ces souvenirs que j’avais mis de coté. En les visionnant ainsi dans un ordre non prémédité je vois des histoires se profiler. C’est ce moment d’apparition épiphanique qu’il faut que je retienne et c’est alors que commence mon travail de montage.

anagramme

Dans An Anagram of Ideas on Art, Form and Film, Maya Deren organise ses idées selon une structure anagrammatique. Une anagramme consiste à combiner des lettres de manière à ce que chacune soit en relation simultanée avec un élément dans plus d’une série linéaire. Cette simultanéité est réelle et ne dépend pas du fait qu’elle soit habituellement perçue en succession. Chaque élément de l’anagramme est relié à l’ensemble de manière à ce qu’aucun ne puisse être modifié sans affecter ses séries et par le fait même, en affecter le tout. Et réciproquement, l’ensemble est relié à chaque élément. Qu’on lise une série à l’horizontale, à la verticale, à la diagonale ou même à l’envers, la logique de l’ensemble n’est pas perturbée, mais demeure intacte.

image poétique

On peut faire un rapprochement entre la conceptualisation Deulezienne de l’image cinématographique contemporaine, l’image-temps, et les considérations théoriques de Maya Deren à propos de la structure poétique de l’image cinématographique, où le sens surgit du va et vient des images dans l’entre deux, et dans la laquelle la forme est fondamentalement liée à son contenu. Ces propos s’inscrivent dans la lignée de la théorie d’Eisenstein qui considère la forme filmique en tant que structure organique dans laquelle tous les éléments sont nécessaires à la création et au bon fonctionnement de l’ensemble. Deren exemplifie cette systématisation en adoptant la figure de l’anagramme, qui sert de métaphore à l’image cinématographique ainsi qu’au film en tant que tout. Le rapport essentiel entre les différents éléments (la permutation des lettres de l’anagramme, la composition de l’image et l’agencement des différentes images) est étroitement lié à l’ensemble filmique, de sorte que le moindre changement à l’intérieur des séries affectera l’entièreté du système. Cette formalisation est directement dérivée de l’image poétique, à la fois verbale et visuelle (conception de l’image formulé par le poète Erza Pound), et qui est le noyau théorique de l’esthétique de l’image cinématographique développée par Deren.